Sœurs et frères,
Ce dimanche nous avons affaire à un Jésus agronome, agriculteur, paysan. La pararabole de l’ivraie et du bon grain pourrait paraître archaïque à notre civilisation de plus en plus citadine. Pourtant il ne se passe pas un jour sans que nous mangions un bout de pain… ou quelque chose qui lui ressemble !
Qui dit pain , dit blé ! Ce dimanche est le jour du blé, le jour du Royaume et aussi le jour de l’ivraie.
Le jour du blé
A l’époque de Jésus, en Palestine, le blé constituait la principale source d’alimentation avec l’huile et le vin et l’on en exportait. Pour les Romains la Palestine était un de leurs greniers. Le blé servait de mesure de paiement et valait trois fois plus que l’orge ; dans notre langue nous en avons gardé une trace familière : « faire son blé »… « je me suis fait du blé » … « je suis fauché , je n’ai plus de blé ! ».
Et là nous voyons tout de suite à quel point le blé est devenu ambigu : il y a de l’ivraie en lui… Il peut devenir synonyme d’argent malhonnête… Notre étrange civilisation a réussi à introduire le soupçon de l’ivraie dans la sainteté du blé ! Derrière le blé, nous voyons l’argent ; le Christ n’y voyait que le pain qui fait vivre, le pain du Royaume. Pour nous, faire du blé c’est souvent gagner de l’argent. Pour le Christ,faire du blé, c’est faire le pain, c ‘est faire de sa vie un pain comestible. « Il prit du pain et le rompit ! »
Le jour du Royaume
Le blé est le symbole du Royaume dans cet Evangile car il pousse à côté de l’ivraie, dans l’ivraie, comme le levain dans la pâte ! Matthieu nous parle cinquante-et-une fois du Royaume dans son Evangile… Pour lui c’est l’essentiel, l’horizon… Il développe cette parabole en nommant une graine encore plus petite que le blé : la graine de moutarde ! Elle ne deviendra jamais un arbre énorme, comme le séquoia ou le cèdre du Liban ; le moutardier restera une grande plante, peut être de quelques mètres en Palestine.
Qu’est ce qu ‘une graine toute petite dans la paume d’une main ? La vie de Jésus elle-même a été une toute petite activité de quelques mois perdue dans un coin de l’empire romain. Et pourtant aujourd’hui il y a des oiseaux de toutes sortes qui viennent s’y retrouver partout sur notre planète ! Il y a des baptisé(e)s un peu partout… Rêver de dominer le monde, pour toute religion, restera une impasse.
Aujourd’hui le Christ nous lance un appel à la patience, à nous les gens toujours pressés, à nous les impatients. Un appel à l’Attente …espérante, sereine et active de son Royaume ; cette attente fait partie de la parabole et est inséparable de notre foi !
Pour nous, faire son blé c’est souvent ne pas « perdre de temps », car le temps c’est de l’argent. Pour le Christ, faire son blé, c’est semer une graine de moutarde et contempler comme elle pousse, écouter le silence de sa croissance, se réjouir déjà de son gôut à venir !
Le jour de l’ivraie, aussi
Dans notre parabole, le blé et l’ivraie sont semés par des semeurs differents. Le blé est semé en plein jour ; l’ivraie est semée la nuit, en se cachant, lorsque nous dormons… Le Christ veut nous dire par là que le mal n’est pas notre vrai visage, qu’il se glisse clandestinement dans nos vies.
La semaine dernière le Christ insistait sur le danger des mauvaises herbes. Aujourd’hui il se reprend un peu et nous dit qu’il faut les laisser pousser ensemble …sous peine de tuer le blé. Peut-on d’ailleurs faire autrement dans nos vies ? Au début de sa croissance l’ivraie ressemble beaucoup au blé. Mais plus tard les fruits ne seront pas les mêmes. Ce n’est pas à nous de trancher. Dieu a pris aussi le risque de l’attente. A tout homme il a donné sa chance de mûrissement, de fécondité, de conversion. Faire son blé, pour nous c’est souvent calculer la rentabilité de nos actions, juger… Faire son blé pour le Christ c’est faire confiance en son Père, c’est croire que le blé jamais ne périra, malgré toute l’ivraie du monde !
En conclusion, pourquoi le Christ nous appelle-t-il à la patience ? Pour deux raisons, je crois. Nous ne sommes pas capables de faire définitivement le tri entre la grâce et le péché, entre le mal et le bien. Le peuple de Dieu restera humblement caché au milieu de la foule. Ne prétendons pas sonder les coeurs ! Nous arracherions le blé à la place de l’ivraie. L’appel à la patience est d’abord un appel à l’humilité.
Voici la seconde raison : c’est le semeur qui détermine l’heure du tri ; c’est le semeur qui décide de la moisson. Il connaît l’heure de la plénitude du fruit. J’accueille l’Autre dans mon avenir.
Si pour nous faire son blé c’est souvent faire son beurre, pour le Christ, faire son blé c’est vouloir notre bonheur !